Voici un terme fondamental pour chacune de nos vies. Du latin ex (« dehors ») et sistere (« se tenir »). Il pose la question de savoir d’où nous venons et ce qui nous permet de rester debout, c’est-à-dire la question du sens de nos existences qui ont début mais aussi une fin.
Nous sommes nés, sortis de ce qui nous précède. « Nous ne sommes pas à notre origine, mais à notre commencement », écrit le philosophe Michel Cornu. Et de préciser ; « Non pas premier, né de rien, autocréateurs de nous-mêmes, mais en relation. »[1]
Et plus loin il dit encore au sujet du don de la vie :
En recevant le don de la vie, je suis mis en relation avec moi-même comme ne m’appartenant pas complètement. A vouloir m’approprier le don, à me crisper sur ce que j’estime m’appartenir de bon droit, à vouloir nier la faille, la brèche où a pu s’élaborer la conscience que j’étais précédé du don, je perds la vie comme don et me ferme à la possibilité de reconnaître autrui comme autre. Tant que je ne donne pas à l’autre ce que j’ai reçu, tant que je vais à lui pour l’appréhender, le posséder, le « com-prendre » (le faire mien), je ne le rencontre pas : le « Tu » m’échappe et je ne rencontre qu’un autre « Je » … [2]
Entendu ainsi, l’existence devient un défi à vivre au quotidien pour parvenir à se tenir dans une posture stable, modérée entre le « Je », le « Tu » et le « Nous » de nos parcours de vie. C’est ce qui permet à Emmanuel Levinas d’affirmer :
Après vous ! « Cette formule de politesse devrait être la plus belle définition de notre civilisation. »[3]
La lecture de Levinas exige des connaissances philosophiques que je n’ai pas. Je suis cependant interpellé par son invitation à me décentrer de moi-même pour me constituer en être-pour-autrui afin d’exister véritablement comme un être responsable. N’est-ce pas ainsi qu’il conviendrait aussi de comprendre la parole de Jésus : « Aimes ton prochain comme toi-même » ? Dans la mouvance actuelle, cette invitation a souvent été interprétée pour dire l’importance d’apprendre à s’aimer pour aimer l’autre. Mais il est probablement encore plus vrai que c’est en regardant le visage de l’autre et, en tant que croyant, du Tout autre que je me trouve dans un face-à-face existentiel qui me permet de me découvrir aimé.
Le repli sur soi et l’exclusion de l’autre est une tentation permanente, une fausse sécurité aux conséquences mortifères, au niveau des individus comme des nations. En tentant ainsi de nous protéger, nous privons nos existences ce de qui seul peut les redresser, les faire grandir dans l’espérance et leur donner la force de résister aux bousculements de la vie. C’est en restant dans la relation, l’échange de la parole et du regard entre nous, que nous nous écartons du néant.
Cet appel à ex-ister, à s’ouvrir dans la confiance, n’est bien sûr jamais gagné. Comme Jésus le propose à Nicodème, nous sommes invités à naitre d’en haut [4]. Au souffle vital que nous prenons lors de notre naissance peut s’ajouter le Souffle créateur qui traverse tout ce que nous sommes, tissant le lien entre passé et avenir, entre ombre et lumière, une transcendance ressuscitante et solidarisante pour tenir debout sans crainte face à la vie et face à la mort. Ce Souffle qui appelle à l’ouverture et à la résistance, qui renverse ce qui attente à la dignité humaine, ce qui détruit la Création, à la loi du plus fort, aux irresponsabilités et aux injustices qui plongent le monde dans le chaos. Un Souffle offert à toutes et à tous si l’on en croit ce qui est écrit dans le récit de Genèse 2: « L’Éternel Dieu forma l’humain de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle (Esprit) de vie et l’humain devint un être vivant. »
[1] La confiance dans tous ses états. Pour une éthique du don, p.29
[2] Ibid. pp 83-84
[3] Entre-nous : Essais sur le penser-à-l’autre
[4] Jean 3