TRAITS D’UNION – petit traité sur l’entre-deux – épisode 4: Par-don

Le trait d’union nous indique que le par-don est avant tout un don ou une grâce. Mais qu’est-ce qui le distingue du don ? Perdonare signifie en latin, donner à travers. « Pardonner, c’est donner à travers le temps, donc avoir confiance en la durée et donner sa confiance à la personne à travers, au-delà de la faute ou du tort qu’elle a pu commettre. »[1]

La parabole dite du fils prodigue, illustre bien cette définition. Dans cette histoire, le père de l’enfant qui part en demandant son reste, reste dans une confiance en son fils. Ce que dit la fin du récit qui le montre voir de loin son enfant revenant piteusement à la maison, puis accourir vers lui. Ce fils qui a perdu toute estime de lui-même à la suite de son parcours malheureux, a préparé tout un discours pour tenter de se faire accepter comme un simple esclave. Son père ne le laisse pas achever son plaidoyer. Il prend en considération son aveu, mais il le rétablit dans sa pleine dignité de fils et il l’atteste en lui remettant son alliance et en le revêtant de son manteau. Avec cette vision de la dignité de la personne jamais niée, le père n’oublie pas ce qui s’est passé ni les blessures subies. Son pardon n’est pas une simple manière d’excuser l’attitude de son fils. Il ne pardonne pas pour ou parce ce que. Il pardonne, un point c’est tout !

Pardonner, c’est traverser l’image d’autrui pour retrouver sa chair. C’est oser affronter en soi-même la blessure et la menace qu’est devenu autrui, pour s’alléger de ce poids d’autrui réduit à sa pesanteur… Dans l’acte du pardon je me trouve alléger du pouvoir de donner… Je me trouve allégé, parce que j’ai pu me détacher et que ce détachement me permet, dans la dépréoccupation de moi-même, de rencontrer différemment autrui et de pouvoir ainsi me retrouver capable de marcher.[2]

Le pardon s’inscrit dans une relation, c’est un processus qui le plus souvent demande du temps et qui intègre une quête de vérité, de justice et de réconciliation avec l’autre, mais aussi avec soi-même. Il participe à la guérison de mémoires blessées et peut alors être un levier indispensable pour la reconstruction d’une vie. Un donc gratuit qui pourtant engage. Car s’il doit traverser le désir de vengeance, les jugements et les peurs des uns et des autres, il est aussi à recevoir au tréfond de nos êtres pour devenir réalité transformante de nos vies, de nos choix éthiques et de nos relations.

C’est ce que montre bien une autre parabole. Elle met en scène un débiteur auquel son roi remet une dette considérable, impossible à estimer. Pourtant ce serviteur pardonné se révèle ensuite incapable de faire de même pour un pauvre bougre qui lui dont une peccadille et le fait jeter en prison. Le roi lui fera vite comprendre que ce geste odieux révèle qu’il n’a pas vraiment compris, ni accepté son par-don !

Un « pardon au rabais » ou une « grâce à bon marché » comme le dit Dietrich Bonhoeffer, c’est-à dire une parole en l’air qui ne change rien à nos vies et qui ne cherche pas ensuite à rétablir la justice, mais qui ont contraire fait perdurer ou masque l’injustice.[3]

A noter encore qu’en hébreu, le mot pardon français, se dit avec plusieurs termes différents :

  • Techouva. Un mot qui veut dire « retour » ou « réponse ». Il n’est pas équivalent à la repentance qui se dit autrement et qui elle implique le remord ou un sentiment de culpabilité. Un retour en soi et vers Dieu qui appelle une réponse en vue d’un changement de cap existentiel.
  • Kaphar. Ce terme signifie « couvrir » ou « recouvrir » pour par exemple donner un refuge
  • Nassa. Porter ou supporter

Ces diverses expressions rappellent que nous avons toutes et tous des cicatrices plus ou moins grandes, plus ou moins profondes, marquées dans nos corps et dans nos vies. Elles sont signes que nous ne pouvons pas effacer les blessures passées ou récentes. Mais elles disent aussi que ces blessures, au lieu de s’infecter, ont fini par se cicatriser et que nous avons pu vivre un processus dont peut-être le pardon a été un baume apaisant permettant la guérison et évitant que la plaie ne s’ouvre à nouveau.

En grec des évangiles le verbe pardonner est « aphièmi ». Il a un sens plus large qu’en français, il signifie « laisser tomber », « jeter au loin » ou « remettre ». Une traduction plus littérale d’une des demandes de Notre Père pourrait donc se dire : Remets-nous nos dettes comme nous remettons celles de nos débiteurs ! Et là nous revenons à la parabole du serviteur impitoyable que nous avons évoquée plus haut.

On ne peut toutefois comprendre cette demande comme si la mesure du pardon de Dieu était notre propre capacité à pardonner, bien sûr, car ce serait absurde, et ce serait contraire à bien des pages essentielles de l’Evangile. C’est pourquoi, quand je dis cette prière, quand le la prie, je demande à Dieu de me pardonner et je lui demande aussi de me donner la grâce de pouvoir pardonner un petit peu plus, de décharger ma colère et mes rancœurs. Je lui demande l’un comme l’autre car c’est une seule et même chose. C’est demander à Dieu de nous aider à vivre en étant libéré de la logique de la dette, et vivre un petit peu plus dans une logique de la grâce. [4]

Cette brève recherche sur les acceptions diverses du par-don dans son étymologie française, hébreu et grecque, nous permet de découvrir la richesse et la densité de cette expression. Elle nous aide à en découvrir le sens véritable et à nous met en garde contre des interprétations moralisantes ou volontaristes de cette expression.[5]

A suivre…


[1] Michel Cornu, ibid, p.121
[2] Michel Cornu, ibid, pp 124 à 126
[3] Voir Dietrich Bonhoeffer, Le prix de la grâce, Delachaux et Niestlé
[4] Marc Pernot, https://jecherchedieu.ch
[5] Voir aussi des interprétations dans diverses traditions religieuses ou philosophiques : https://interreligieux.ch/wp/le-pardon-en-question