Le véritable copain serait donc celle ou celui avec qui nous sommes prêts à partager le pain, cet aliment essentiel de notre quotidien. Aujourd’hui il suffit parfois d’un « like » sur Facebook ou d’autres réseaux sociaux pour se considérer entouré d’une nuée d’amis. C’est bien sympa et cela permet de temps à autre de renouer un lien au moins virtuel avec des personnes que nous avons croisées à un moment de nos existences, de nos activités et de nos engagements. Mais quelles sont celles que nous aimons rencontrer, avec qui nous pouvons vraiment échanger nos questionnements en profondeur, avec qui nous nourrissons notre espérance ? Cette qualité de relation, faite de confiance, de bienveillance et de réciprocité, se construit dans le temps de nos vies. C’est une des choses les plus précieuses que nous apprenons à cultiver avec soin et reconnaissance.
Dans son livre « Vous, vous êtes mes amis », Jacqueline Assaël (1) étudie le thème de l’amitié, plus particulièrement dans le Nouveau Testament. Elle introduit son étude avec aussi un certain nombre des commentaires sur ce sujet chez Platon, Socrate, Aristote, Cicéron ou Montaigne. Ainsi elle relève que chez Cicéron, « l’amitié suscite une foi qui ne s’adresse pas seulement à l’être qui réconforte, mais qui se transmet aussi intimement, envers lui-même, à celui qui a besoin d’aide, En effet, puisque dans un tel rapport de réciprocité tout est commun, l’assurance apportée par un ami restaure aussi une représentation de soi-même. Les effets de la relation amicale sont ainsi pleinement accomplis (2):
Nombreux, en effet, sont ceux qui n’ont pas une assez bonne opinion d’eux-mêmes,
et dont il convient de relever les espérances !
Ce n’est pas d’un ami d’être dans les mêmes dispositions qu’eux-mêmes à leur sujet.
Tâchons, au contraire, d’obtenir qu’ils rappellent leur courage,
et de les conduire vers l’espérance et de meilleurs pensées. (3)
Alors que j’écris ces quelques lignes, me trotte dans la tête le refrain d’une chanson souvent entendue dans ma jeunesse, avec des paroles de l’académicien Marcel Achard et sur une musique de Georges van Parys.
Si tous les gars du monde
Décidaient d’être copains
Et partageaient un beau matin
Leurs espoirs et leurs chagrins
Si tous les gars du monde
Devenaient de bons copains
Et marchaient la main dans la main
Le bonheur serait pour demain
Un peu désuet et « baba cool » en considérant l’actualité de notre monde! Pourtant ne faudrait-il pas décider aujourd’hui de mettre toute notre énergie et nos moyens pour construire une chaîne de véritables copains et copines, plutôt que d’investir dans les armes, rechercher les maxis-profits qui appauvrissent les autres, se replier sur des identités meurtrières en excluant l’autre-différent ?
Dans les évangiles, c’est souvent autour d’une table ou lors d’un pique-nique géant que Jésus invite au partage du pain. Jusque dans l’auberge d’Emmaüs où, réveillé d’entre les morts, il le partage incognito avec deux disciples démoralisés et désorientés, Il leur permet de retrouver ainsi ce qui donne sens à leur vie et les projette vers un nouvel avenir possible.
(1) helléniste et professeur honoraire de l’Université Côte d’Azur. https://www.editions-olivetan.com/coll-au-fil-des-ecritures/1167-vous-vous-etes-mes-amis.html
(2) ibid, p.26
(3) Lélius ou De l’amitié, &XVI
Très beau texte merci