Ce « mérite » n’est pas seulement le mien!

Merci au Conseil administratif de Plan-les-Ouates pour ce mérite communal 2022. C’est toujours agréable de recevoir un signe de reconnaissance. Cependant, avec ma sensibilité calviniste, je dois avouer que j’ai un peu  de peine avec le terme de « mérite ». En tous cas, ce mérite n’est pas seulement le mien, il est celui de toutes les personnes et toutes les équipes avec lesquelles j’ai eu le privilège de pouvoir vivre divers engagements tout au long des années.

Avec mon épouse Edith nous vivons dans cette belle commune de Plan-les-Ouates depuis bientôt un demi-siècle. Nous enfants y sont nés et avec d’autres parents nous avons mené nos premiers combats de citoyenne et de citoyen au sein  de l’Association des parents d’élèves. Une de nos victoires de ce temps-là n’est pas bien loin, c’est l’école du Pré-du.Camp dont la construction avait été contestée par référendum !

Aujourd’hui nous sommes engagés avec la formidable équipe de la Bistoquette, coopérative d’habitation participative, écoresponsable et intergénérationnelle.

Entre-deux, les visages découverts, les regards croisés  ont été nombreux et divers aux carrefours de ma vie. Je suis heureux qu’un certain nombre d’entre eux soient présents ce soir pour ce moment de reconnaissance du chemin parcouru, de visions et de missions  partagées.

Donner sens à sa vie ne tombe pas du ciel. C’est comme un puzzle dont il convient à chacune et à chacun de trouver et de rassembler les pièces. Et vous le savez s’il vous arrive de faire des puzzles, il est important de repérer d’abord les pièces d’angle qui permettent ensuite de rassembler les autres au fur et à mesure de notre quête.

Pour ce qui me concerne, je dirai que les quatre pièces d’angle de mon puzzle sont les suivantes :

  1. Une mémoire et un héritage. Je trouve important de nous souvenir d’où nous venons sans nous laisser illusionner par les discours de tenants de la cancel-culture et du wokisme qui trop souvent tentent d’effacer les zones d’ombre du passé en croyant à un présent immaculé[1]. Mes ancêtres ont vécu des persécutions, des exils et des exodes. A diverses époques ils ont été réfugiés ou migrants et ont pu s’établir en Suisse ou alors s’exiler vers d’autres continents. Cet héritage a enraciné en moi cette conviction que l’accueil de l’autre et de l’étranger est d’abord une manière d’être simplement reconnaissant.

2. Une parole libératrice : Dans une de ses lettres, Antoine de Saint-Exupéry  écrivait :

Il n’y a qu’un problème, un seul de par le monde. Rendre aux hommes (et aux femmes !) une signification spirituelle, des inquiétudes spirituelles, faire pleuvoir sur eux quelque chose qui ressemble à un chant grégorien. On ne peut vivre de frigidaires, de politique, de bilans et de mots croisés, voyez-vous ! On ne peut plus vivre sans poésie, couleur ni amour.[2]

Dans cette quête spirituelle j’ai personnellement été rejoint par les paroles interpellantes des évangiles. Un Dieu qui ne reste pas indifférent, qui devient le Très-Bas, pour reprendre un terme du poète Christian Bobin, et dont le seul vrai miracle est de nous inspirer une dynamique aimante de justice restaurative, de relèvement, de pardon et de mise en mouvement.

Mais j’ai aussi été questionné et enrichi  dans mon cheminement par le dialogue interreligieux et inter-convictionnel, par les apports des philosophes et des penseurs humanistes. Toutes et tous participent à nous faire entendre le « murmure de la Source » dont parlait si bien Georges Haldas et qui rafraichit notre quotidien.

3. Une espérance partagée, celle de l’amour plus fort que la haine, celle de la vie plus forte que la mort. Un antidote au découragement ou à la résignation. Elle me permet d’espérer demeurer vivant, ouvert et résistant jusqu’au bout du chemin car, comme l’a écrit Aimé Césaire :

C’est quoi une vie d’humain ?
C’est le combat de l’ombre et de la lumière.
C’est une lutte entre l’espoir et le désespoir,
entre la lucidité et la ferveur.
Je suis du côté de l’espérance,
mais d’une espérance conquise, lucide,
hors de toute naïveté.

4. Des rencontres qui font tomber les murs et construisent des ponts, entre les personnes, entre les religions et même entre les politiques pour travailler avec une responsabilité partagée au respect et au bien commun. Le « vivre ensemble » n’est pas une tarte à la crème comme l’affirment certains. Pour paraphraser Martin Luther King, je crois que nous devons apprendre au jour le jour à vivre comme des humains attentifs aux uns, aux unes et aux autres, sinon nous mourrons ensemble comme des idiots !

Au Centre social protestant, à Camarada, dans mes ministères auprès des réfugiés et des prisonniers, j’ai rencontré sans héroïsme des femmes, des hommes et des enfants victimes de nos inattentions et de celles d’un monde qui le plus souvent accapare et se sert plutôt que servir et partager.   

Des personnes vivant des ruptures, des vies chahutées par les guerres, les violences et les injustices, des existences cabossées par des maux subis et d’autres commis. Mais au cœur de ces vies j’ai souvent perçu le courage, la foi et diverses formes de  résistance qui ont été de vraies leçons de vie.

Ces rencontres m’ont appris à vaincre mes peurs et à surmonter mes préjugés. C’est aussi  à ces personnes que ce mérite revient, car ce sont elles qui m’ont fait grandir, et c’est en leur nom que je l’accepte.

Comme le dit un proverbe : Lorsqu’on rêve seul, cela ne reste qu’un rêve. Si nous partageons un rêve ensemble, cela commence à être une réalité !

Je conclus en formant le vœu que notre commune participe à la réalisation de certains de ces rêves en soutenant localement et dans le cadre de la coopération internationale, des projets solidaires, équitables et durables.

Ainsi c’est elle qui recevra-peut-être un jour le mérite communal de sa population reconnaissante, résolue, comme le dit le préambule de notre Constitution genevoise, à renouveler son contrat social afin de préserver la justice et la paix, et à assurer le bien-être des générations actuelles et futures.


[1] Propos inspirés par un article de Pierre Gisel « Généalogie et identité« 

[2] Extrait de la Lettre au Général X