Pour que le dialogue soit contagieux

La pratique interreligieuse est à la fois une exigence convictionnelle et un facteur de cohésion sociale. Rencontre avec Maurice Gardiol, membre de la PFIR genevoise.

LE COURRIER jeudi 17 novembre 2022 Dominique Hartmann

A son retour du Bahreïn, le pape François définissait les «négociations patientes et le dialogue» comme «l’oxygène du vivre ensemble». Il venait d’échanger avec le Conseil des sages musulmans et exhortait au dialogue interreligieux. En Suisse, des groupements y travaillent dans presque tous les cantons. Rencontre avec Maurice Gardiol, diacre et constituant, membre de la Plateforme interreligieuse de Genève (PFIR), qui fête cette année ses 30 ans.

La PFIR est née en 1992, à la suite d’un long processus d’élaboration sous l’impulsion du Centre protestant d’études et de son responsable, le pasteur Jean-Claude Basset, pour qui le dialogue interreligieux est «un défi crucial dont dépend largement la nature et la crédibilité (…) du témoignage des croyants de toute conviction». Les personnes et communautés qui ont participé à la création de la PFIR ont estimé que Genève, en raison de sa réalité multiculturelle, pouvait être un laboratoire pour relever ce défi. Hasard de l’histoire, c’est précisément cette année-là que la guerre en ex-Yougoslavie provoque l’exil de nombreux réfugié·es musulman·es en Europe, contribuant à transformer le paysage religieux essentiellement chrétien de certains pays comme la Suisse.

La plateforme regroupe actuellement une vingtaine de communautés, de tailles diverses. Chacune – juives, protestantes, catholiques et orthodoxes, musulmanes, baha’i, bouddhistes, hindoue, quaker  – y dispose d’une voix, quelle que soit sa taille.

Les objectifs de la plateforme n’ont pas changé en trois décennies: favoriser la compréhension mutuelle entre religions, facteur de cohésion sociale, et mettre en œuvre des valeurs de paix, de solidarité et de partenariat. Il s’agit aussi d’introduire de la nuance: «Il n’y a pas ‘les’ protestants, ‘les’ musulmans, mais ‘des’ protestants et ‘des’ musulmans», rappelle Maurice Gardiol. Les Eglises évangéliques ne sont ainsi pas partie prenante de la démarche. «La plupart d’entre elles ont longtemps été très méfiantes par rapport à l’œcuménisme, elles le sont aussi à l’égard d’un rapprochement avec les autres religions, explique Maurice Gardiol. Le dialogue interreligieux n’est pas un syncrétisme mais une volonté de s’écouter et de se rejoindre sur des convictions profondes au lieu de se déchirer sur des différences. Une nécessité, estime-t-il, imposée par le contexte socio-politique.»

Ces différences se manifestent pourtant très concrètement: face aux incendies d’églises en Egypte, les coptes ont choisi de quitter la PFIR qui s’est refusée à exclure une communauté proche des Frères musulmans. «Notre champ d’action est local, explique Maurice Gardiol, pas international.» La PFIR ne participera donc pas à une manifestation contre l’occupation israélienne en Palestine mais tentera de jouer un rôle modérateur pour éviter les rejets mutuels «et rester dans la compréhension des loyautés des uns et des autres». Les communautés juives et musulmanes étaient ainsi réunies l’an dernier pour une «Journée de l’entreconnaissance». L’association tente aussi de favoriser le dialogue intracommunautaire (entre sunnites, chiites et soufis, entre juifs orthodoxe et libéraux, entre protestants et catholiques).

Le dialogue par contagion

On reproche parfois au dialogue interreligieux de ne regrouper que des personnes modérées et de ne pas atteindre les milieux plus radicaux. «Dans toutes les religions, certaines personnes sont tentées par le repli en effet, même chez les bouddhistes ou chez les hindous, rappelle Maurice Gardiol. Et face à certains évènements internationaux, c’est parfois un combat de rester ouvert. Les personnes modérées ont donc une responsabilité: celle de résister en refusant amalgames et généralisations, et de rester dans le dialogue. Notre espoir est que cette habitude se diffuse, qu’elle gagne les autres croyant·es et structures ecclésiales. Qu’elle soit contagieuse…»

Dans le projet de dialogue interculturel et interreligieux que développe la PFIR, les différentes traditions se soumettent mutuellement à la critique. Une ligne de conduite en neuf points définit sa vision du vivre ensemble dans la diversité religieuse. Un certain nombre de ces points ont fait l’objet d’âpres discussions: «L’engagement ferme sur la non-violence, par exemple, ou le fait que la liberté de religion doit s’exercer dans le cadre de l’ordre juridique existant. Mais aussi le refus de toute discrimination à l’intérieur des communautés en fonction du genre, ce qui n’est pas encore acquis pour les chrétiens.» Dans le contexte de la laïcité genevoise, la PFIR défend aussi le droit à la liberté de conscience et croyance.

Expertise et vigilance

Comment mesurer l’impact d’une telle démarche? A l’aune de son intégration dans la cité, peut-être. La PFIR est consultée pour son expertise par des organismes tant publics que privés, notamment en matière de résolution des conflits. Comme l’explique Maurice Gardiol, «des partenaires institutionnels viennent nous chercher pour accompagner un processus d’intégration». C’est ce qu’a fait la commune de Plan-les-Ouates lorsqu’elle a accueilli sur son territoire, en 2017, la mosquée Dituria – une première. Un rallye interculturel a été organisé ainsi qu’une inauguration interreligieuse dans le but que les communautés locales se rencontrent. Des rôles qui nécessitent de la part de la PFIR une forme de vigilance, pour éviter d’être instrumentalisée d’un côté comme de l’autre. Elle est partenaire de La Servette contre le racisme depuis plusieurs années, et impliquée depuis six ans dans l’animation d’un module romand d’approfondissement (MAP) de la HETS-Genève, «Spiritualités, religions et travail social». Un programme qui tient particulièrement à cœur à Maurice Gardiol: ancien travailleur social, il est bien placé pour savoir que ceux-ci et celles-ci sont amenées à rencontrer des personnes pour qui la religion est une réalité quotidienne parfois très structurante. «Il est important que les comportements et les tabous qui y sont liés soient compris. C’est aussi ainsi que le dialogue interreligieux peut favoriser la cohésion du tissu social.»

Depuis des années, la PFIR participe aussi à la publication d’un calendrier où figure les dates significatives pour les différentes religions, «une façon de prendre conscience du pluralisme religieux».