Dans son édition de la semaine dernière, l’Hebdo nous fait part de son sondage exclusif sur l’assistance au suicide : 75% des Suisses diraient « oui » à cette mort choisie. En parcourant le journal, je suis frappé par le voisinage de l’article concerné à ce sujet et le compte-rendu qui nous est proposé du dernier livre de Régis Debray sous le titre « cette fraternité qui nous manque ». Je me demande si la réflexion présentée par l’essayiste français ne devrait pas amener une lecture critique de nos choix par rapport à l’auto-délivrance. Cette manière d’envisager sa mort, n’est-elle pas une des conséquences du « moi-je » qui oublie le « nous », seul capable de m’inscrire dans une histoire et une communion humaines ?
Affirmer l’autonomie de l’individu ne signifie pas qu’il peut prétendre tout maîtriser de son existence. Sa naissance, comme sa mort, ne sont pas sa seule affaire. D’autres sont concernés, qu’il le veuille ou non. Dans la société du « moi-je », nous ne prenons pas vraiment conscience des conséquences d’un choix tel que le suicide assisté pour nos proches. D’une certaine manière ils sont pris en otage. S’ils sont informés de cette décision, au nom de quoi pourraient-ils s’y opposer sans se sentir coupables de prendre le pouvoir sur le libre-arbitre de l’autre ? Et s’ils ne sont pas au courant, comment éviteront-ils les réactions de colère et les sentiments de culpabilité qui assaillent les survivants à la suite d’un suicide ?
D’autre part, la solution finale demandée, n’est-elle pas par avance une dénégation de l’accompagnement que peuvent m’offrir les autres, mes proches, mais aussi le personnel soignant et les accompagnants dans le domaine de la spiritualité et de la fin de vie ? Personnellement j’ai pu constater que bien des personnes vivaient des choses essentielles dans leur approche de la mort. Ces moments font entièrement partie de la vie, pourquoi prendre le risque de s’en priver ?
Finalement, ne sommes-nous pas tentés de recourir à un tel moyen à cause d’un certain nombre de peurs ? Mais n’y a-t-il vraiment pas d’autres moyens de les combattre ? L’assistance au suicide reste peut-être une solution envisageable dans des situations extrêmes et exceptionnelle. Sa banalisation ouvre la porte à toutes sortes d’abus, trouble les liens entre les vivants, pèse sur la vie des survivants et nous fait glisser subtilement vers une civilisation où les personnes qui se sentiront rejetées, inutiles, plus aimées, n’auront plus qu’à disparaître volontairement. Ce jour-là, il n’y aura plus de « nous » à espérer. Est-ce à cela que 75% des Suisses disent oui ?