Vous avez dit « vulnérable » ?  04/03/2020

Me voici donc, vu mon âge, dans le groupe des personnes dites « vulnérables » ! Une qualification qui a de quoi m’étonner étant donné que je me sens en pleine forme et que rien dans mon apparence, mon corps ou ma tête ne me laisse croire que je cours un risque particulier.

J’y pense en regardant ce matin le cerisier en fleur dans mon jardin. Resplendissant de toutes les promesses des beaux fruits qu’il pourrait porter d’ici quelques mois. Et pourtant, je le sais, tout ce projet pourrait être anéanti par une seule nuit de gel. Risque d’autant plus grand qu’avec le réchauffement climatique les fleurs ont éclos bien trop vite cette année.

Vulnérable, c’est-à-dire qui risque d’être blessé. Une fragilité qui peut faire peur, ou alors nous ouvrir à une prise de conscience qui peut être salutaire. Car elle peut me permettre de prendre ou de respecter des mesures permettant de me protéger, non seulement moi, mais aussi les autres. Par ailleurs elle m’invite à faire face à ma mortalité. Non pas dans une attitude morbide mais, comme cela est rappelé dans un livre paru il y a quelques années et auquel j’avais contribué, comme une opportunité pour mieux savourer la vie. « Réfléchir à sa propre mort n’est pas mourir. Cela peut donner au contraire toute sa valeur à chaque jour qu’il nous sera désormais donné de vivre.  Loin de porter malheur, envisager sa propre mort comme une réalité à terme peut aussi devenir une source de paix. »[1]

[1] Revue Panorama, juillet 2004, cité dans « Souviens-toi de Vivre », éditions Ouverture. Téléchargeable ici : http://savourerlavie.org/wp-content/uploads/2019/06/savourer-r%C3%A9edition-web.pdf

Solidaires, jusqu’où et jusqu’à quand ?

Actuellement cette vulnérabilité d’une partie de la population a entraîné de beaux gestes de solidarité. Nos autorités tentent depuis plusieurs semaines de nous encourager à tout faire pour protéger les « personnes à risques » et cherchent à trouver des mesures pour atténuer les conséquences sociales et économiques des décisions prises. Merci à elles ! Il y a hélas des laissés pour compte que cette réalité fait apparaître : les petits indépendants, les chauffeurs de taxis, les requérants d’asile, les personnes travaillant dans l’économie domestique, etc., sans parler de celles et de ceux qui ailleurs dans le monde perdent leurs emplois précaires de survie sans aucune assurance ou compensation.

Si, comme cela est écrit dans le préambule de notre Constitution fédérale nous sommes véritablement déterminés à vivre ensemble nos diversités dans le respect de l’autre et l’équité, conscients des acquis communs et de notre devoir d’assumer nos responsabilités envers les générations futures, sachant que seul est libre qui use de sa liberté et que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres, il y a encore du grain à moudre et du pain sur la planche !

Surtout que les mesures prises, malgré leur insuffisance pour couvrir les besoins des plus faibles, commencent déjà à être contestées. Pour certains milieux, le coût de cette solidarité est trop élevé et d’une certaine manière il vaudrait peut-être mieux laisser mourir les personnes à risque dont l’espérance de vie est de toute manière limitée, plutôt que de mettre en péril notre développement économique.

Toutes et tous vulnérables !

Le risque que l’élan de solidarité s’amenuise au fil du temps est bien réel si nous ne comprenons pas qu’il n’y a pas qu’une catégorie de personnes vulnérables.  Nous sommes bien toutes et tous fragiles, et surtout, le message que le virus vient susurrer à nos oreilles oublieuses, c’est que notre monde est fragile. Si cette fois nous ne le saisissons pas nous passerons à côté de l’essentiel. Si après la disparition du COVID-19 nous repartons sans apporter des correctifs à notre mode de développement, sans rééquilibrer les échanges, sans prendre les mesures pour sauvegarder le climat et la biodiversité pour nous et pour les générations futures, alors nous aurons perdu notre âme et mis définitivement en péril l’avenir de l’humanité sur cette planète Terre.

Accepter la fragilité de toutes choses et de nos existences peut conduire à une vulnérabilité créatrice. La refuser risque de nous entraîner dans le confinement égoïste, l’imprévoyance à long terme, l’exploitation et l’accumulation des richesses par une minorité, la misère pour une majorité. Nous sommes je le crois à un carrefour existentiel qui nous permet de nous poser les vraies questions. Justement ce que j’écrivais dans mon livre « La boussole et le baluchon » paru il y a moins d’une année :

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« Pour aller dans le sens d’un véritable développement équilibré et durable, avec ses composantes économiques, sociales et environnementales, il est urgent de participer à l’élaboration d’un autre modèle de rapport au monde. La foi dans le progrès et la croissance démesurée, où la fin justifie les moyens, est appelée à faire place à l’engagement de toutes et de de tous, de nos autorités politiques et de nos entreprises dans un processus de création responsable. Il s’agit de remplacer l’accumulation par une gestion raisonnable des ressources et une juste redistribution des richesses. Dans une perspective biblique, un tel modèle était soutenu par les lois du sabbat, de l’année sabbatique et de l’année jubilaire.  En inscrivant les concepts de limites au cœur d’une compréhension de la croissance personnelle et communautaire, ces lois donnaient l’opportunité de pouvoir régulièrement reconstruire des solidarités sans attendre l’effondrement d’une société dans laquelle se perpétueraient les injustices sociales à force de laisser faire les lois du marché ou du système technicien. » [1]

[1] Maurice Gardiol, La boussole et le baluchon, page 22, Editions Ouverture, 2019