Lucie en avait eu marre de la pandémie qui l’obligeait à rester le plus souvent à domicile pour faire du télétravail. Elle avait donc décidé de prendre un congé sabbatique et de partir voyager avec son vélo et sa remorque. Son défi : traverser l’Europe du Nord au Sud, puis trouver un chemin qui la conduirait jusqu’à Bethléem pour y fêter Noël. Elle serait mage des temps moderne, venue non de l’Orient, mais de l’Occident !
Un beau jour de la mi-été, elle prit donc le train avec armes et bagages, c’est-à-dire vélo et remorque plus quelques sacoches, direction le pays du soleil de minuit. Après un long périple masqué pour cause de virus, elle put enfin se mettre en route sur les chemins des steppes puis des forêts boréales.
Pendant ces premières journées sans fins, l’air frais du large fouettait son visage enfin démasqué et elle prenait plaisir à cette liberté retrouvée. Dans sa tête elle fredonnait une ritournelle :
Je voudrais changer les couleurs du temps
Changer les couleurs du monde
Le soleil levant, la rose des vents
Le sens où tournera ma ronde (Guy Béart)
En pensant au but de cette ronde un peu folle, elle se demandait, tout en pédalant allégrement, quel présent elle pourrait déposer à la crèche de Bethléem. Très concernée par la conservation de la biodiversité, il lui vint l’idée de ramasser les graines des arbres se trouvant le long de son parcours. Pendant ses premiers kilomètres, elle n’avait eu aucune peine à trouver des graines de bouleaux. Son écorce blanche et ses feuilles qui jaunissent illuminaient les premiers jours d’automne un peu précoce cette année à cause de la sécheresse. Puis, dans les forêts de Norvège et de Suède, elle put ramasser des graines de mélèzes, de hêtres et de trembles… sans trembler !
Un jour elle se trouva nez à nez avec un joli petit sapin. Comme elle en avait parfois l’habitude, elle alla l’enlacer afin de faire le plein d’une énergie vitale. En cherchant quelques graines dans les écailles des pommes de pin elle entendit tout à coup une voix qui lui dit :
– « Je suis trop jeune pour déjà porter des graines ! Et en plus je ne suis pas un sapin, mais un épicéa ! Je sais on nous confond souvent, mais ici dans le Nord nous sommes plus nombreux que les sapins et du reste, jusqu’à peu c’est nous qui servions de « sapins de Noël » dans vos maisons de toute l’Europe ! ».
Lucie était tout étonnée d’entendre cet arbre lui parler et d’apprendre qu’il n’était pas vraiment un sapin ! Et il avait encore quelque chose à lui dire :
– « Comme je n’ai pas de graines à te proposer, fais-moi une place dans ta charrette et emmène-moi avec toi ! J’ai tellement rêvé de voyager et de faire la connaissance d’autres peuples et d’autres arbres de par le monde ! »
Et c’est ainsi que Lucie a continué son périple avec son drôle de « sapin de Noël » sur son porte-bagages. Ensemble ils se sont arrêtés chaque jour aux pieds d’un nouvel arbre pour l’admirer et récolter de nouvelles semences à mettre dans leur sacoche. Il y a eu le saule pleureur avec ses branches qui retombent comme des larmes au bord d’un étang. Elle se demanda du reste quelle forme pourrait avoir un saule rieur !
Puis vint le tour des érables, des ormes, des peupliers et des chênes qui donnèrent à ce curieux attelage de nombreuses occasions de se reposer à l’ombre de leurs feuillages si divers. Sans oublier les fruitiers qui leur offraient pommes et poires à gogo, mais pas de scoubidous ! .
Plus au Sud, Lucie et son « sapin » à roulette firent la connaissance des ifs qui s’élancent droit vers le ciel et des pins parasols qui se mirent dans les eaux turquoises de l’Adriatique. Toujours plus loin, nos intrépides cyclistes découvrirent les premiers palmiers. Iels n’étaient pas loin de leur destination !
En traversant les chaines de montagne du Liban un grand cèdre les salua à leur passage. Le petit épicéa des forêts du Nord fut fort impressionné par ce lointain cousin majestueux. Ils se racontèrent plein d’histoire à la tombée de la nuit. Le cèdre lui dit que dans le pacifique nord, des arbres de son espèce était considéré par les tribus Kwakwaka’wakw comme l’Arbre de vie ! Lorsqu’ils vont prendre son écorce, les gens de ce peuple lui adressent une prière :
Regarde-moi, mon ami !
Je suis venu te demander ta robe
Car tu acceptes de nous prendre en pitié;
Car il n’y a rien en toi qui ne soit utile…
Car tu es vraiment prêt à nous donner ta robe.
Je viens te demander cela,
Donneur de Longue Vie,
L’Arbre de vie, on en parle aussi dans le livre biblique des origines, planté au milieu du jardin comme une promesse. Les huiles essentielles produites par distillation de mon bois et de mes branches sont connues pour leurs vertus antibactériennes et curatives. C’est donc peut-être aussi de moi qu’il est question dans la Révélation de Saint-Jean qui se trouve à l’autre bout des Écritures saintes, un arbre dont les branches ou les feuilles servent à la guérison des Nations, Et elles en ont tellement besoin !
C’était passionnant, mais il fallait se remettre en route pour arriver avant la nuit de Noël à Bethleem. Depuis la source du Jourdain, ils suivirent les routes de Galilée et de Judée, en choisissant toujours les routes de traverse. A la sortie de Jéricho iels saluèrent le Sycomore dans lequel un certain Zachée avait grimpé un jour où Jésus était passé sur le même chemin. Il fallut ensuite pédaler fort pour remonter jusqu’à Jérusalem où il fut possible de faire une pause dans un grand jardin plein d’oliviers aux troncs plus noueux les uns que les autres. En contrebas une vieille croix, dont on ne pouvait dire de quel bois elle était faite, était posée à côté d’un tombeau ouvert.
A l’aube du dernier jour, Lucie se remit en selle pleine d’enthousiasme. Mais elle se retrouva rapidement devant un grand mur qui lui barrait la route. Quelle horreur, se dit-elle. Le message de Noël n’est-il pas une invitation à construire des ponts ? Entre Dieu et les humains, et les humains entre eux ? Où sont passés les anges qui ouvraient le ciel ? Où sont passés les hommes et les femmes de bonne volonté auxquels la paix était annoncée ?
A ce moment elle vit s’approcher deux enfants. L’un et l’autre avaient un vase d’argile dans leurs mains avec un peu de terre de leur pays. Yosef, un petit garçon juif de Nazareth, et Maryam, une petite fille palestinienne de Ramallah. Un vrai miracle de voir ces deux enfants côte à côte devant ce mur. Ensemble ils cherchèrent une ouverture qui leur permettrait de passer pour rejoindre la crèche signalée par l’étoile lumineuse qui brillait maintenant dans le ciel comme il y a plus de 2’000 ans. Combien de temps leur faudra-t-il pour y parvenir ? Qui les aidera à la trouver ? Pour que les enfants ne se découragent pas, Lucie planta dans leurs vases quelques-unes des graines qu’elle avait récoltées le long du chemin. Une graine du grand cèdre tomba au pied du mur. Elle prit racine instantanément, elle germa tout aussi vite et l’arbre qui grandissait à toute allure transperça la muraille offrant un passage inespéré à la petite troupe.
La crèche était là. Elle était vide depuis longtemps, comme le tombeau de Jérusalem ! Mais une grande joie envahit le cœur de Lucie, celui des enfants et même celui du « sapin de Noël » à roulettes ! Ils se sentaient habités à leur tour par une bonne nouvelle, comme celles et ceux qui avaient salué l’enfant Emmanuel, venu parmi nous pour ensemencer l’espérance.
Lucie planta tout autour de la crèche les graines qui lui restait encore au fond de sa sacoche. Un vieux berger qui passait par là prononça une bénédiction sur chacune et chacun. C’était une des paroles de l’enfant de la crèche :
« Heureux celles et ceux qui sèment autour d’eux la paix,
car Dieu les reconnaît comme ses enfants. »
Après quoi ils prirent congé en se souhaitant d’être les témoins de cette bénédiction.
Le petit « sapin de Noël », bien accroché sur la charrette de Lucie, l’accompagna sur son chemin de retour jusque sur les bords du Léman. Elle le planta dans la cour de son immeuble pas loin des platanes qui bordaient l’avenue voisine. A chaque troisième dimanche de l’Avent, elle le remettait sur sa charrette pour faire le tour des rues de sa ville. Ensemble ils voulaient continuer à semer l’amour, la chaleur et la lumière de Noël en recueillant pour les partager poèmes et récits d’autres semeuses et semeurs de paix.
Conte inspiré par le sapin à pommes, à mots, à poèmes et à roulette d’Anouk